à sexy foxy: critique de l'utilitarisme

L'utilitarisme est une philosophie morale élaborée par Bentham et Mill, deux philosophes anglophones de la modernité. Elle a eu une immense influence depuis sa création, particulièrement dans les pays anglo-saxons. L'utilitarisme a une prétention totalisante, en nous indiquant une méthode pour évaluer la moralité de nos actes, et en nous disant quel est le but ultime de notre agir moral: en quoi consiste le souverain bien.

L'utilitarisme a deux avantages majeurs qui, en dépit de ses défauts évidents, lui ont peut-être assuré son succès durable. D'abord c'est une morale fermement ancrée dans le concret, dans le monde réel, dans la réalité où nous vivons, où nous sentons et où nous agissons. Ce n'est pas une doctrine tombée du ciel, nous apportant des commandements arbitraires auxquels il faudrait obéir aveuglément, nous traitant par conséquent comme des enfants. L'utilitarisme cherche à justifier, aux yeux de l'expérience humaine universelle, ses prescriptions morales.

Le deuxième avantage de l'utilitarisme est son indépendance à l'égard de conceptions métaphysiques de l'existence et de l'homme. Cela inclut évidemment l'indépendance à l'égard de quelque doctrine religieuse que ce soit. L'utilitarisme est une morale laïque. Il n'est pas besoin, en adoptant l'utilitarisme, de défendre ce point de vue avec des arguments métaphysiques contre les sceptiques. En cela, l'utilitarisme est une philosophie très bien adaptée aux démocraties laïques et pluralistes, voire relativistes.

Mais quels sont les principes de l'utilitarisme? Si nous voulons critiquer l'utilitarisme, il faut en connaître la substance. Eh bien l'utilitarisme est une morale conséquentialiste: elle évalue la moralité de notre agir d'après les conséquences tangibles de tels actes. Par exemple le vol est mal parce qu'il occasionne du déplaisir à autrui, il l'empêche de jouir de son bien qu'il avait pourtant acquis légalement.

Si les conséquences de mes actes sont bonnes, alors de tels actes sont qualifiés de bons. Mais si les conséquences sont mauvaises, l'action à leur origine est blâmable. Mais cela n'est pas suffisant pour éclairer l'utilitarisme.

Car que signifie «bonnes conséquences». Comment définir le bien? Comment à l'inverse définir le mal, de façon à savoir ce qui est blâmable? Eh bien, selon l'utilitarisme, le bien, c'est le plaisir, le bonheur subjectivement ressenti*, ou un état de contentement, de satisfaction (les auteurs ne sont pas tous d'accord). Une action qui augmente le plaisir dans le monde est bonne dans cette mesure, et une action qui diminue ce plaisir est condamnable. Notons que contrairement à la doctrine d'Épicure, l'utilitarisme n'est pas égoïste, puisqu'il met sur un même pied l'agent moral et toutes les autres personnes, voire tous les autres êtres sentants (on pense ici à Peter Singer). Moi qui agis, je n'ai pas de privilèges particuliers sur les autres personnes. Je n'ai pas le droit de poursuivre mon bien à leurs dépens. Mon objectif, finalement, est de maximiser le bonheur du plus grand nombre, et cette formule est fondamentale dans l'utilitarisme. Elle désigne le but de notre agir.

Les utilitaristes ne sont pas d'accord à savoir si tous les plaisirs se valent, ou s'il y a une hiérarchie des plaisirs. Bentham mettait a priori tous les plaisirs sur le même plan, mais il nous prescrivait de chercher les plaisirs les plus intenses, les plus proches, les plus durables, les plus féconds, les plus sains, les plus étendus (à d'autres personnes) et les plus purs (pas mélangés de douleurs). Si on prend en compte de tels critères, on peut déjà exclure certains plaisirs malsains comme l'ivrognerie ou la vengeance.


* contrairement au bonheur objectivement atteint d'Aristote


(à suivre)

supposons que tous les organes de mon corps sont sains, et qu'il y a plusieurs malades en danger de mort, mais qui pourraient être sauvés si on leur transplantait à chacun un organe différent. Ne serait-il pas logique, dans une perspective utilitariste, de me mettre à mort et de s'emparer de mes organes? Après tout, ma vie, en termes de plaisirs et de douleurs, n'équivaut pas à la vie de plusieurs malades.

Pourtant cela nous répugnerait. Ce qui manque à l'utilitarisme, c'est l'idée des droits sacrés de la personne.

Il est vrai que certains utilitaristes ont essayé de répondre à ce paradoxe sans renier leur théorie: ils disent alors que si on pouvait mettre à mort les gens de façon aussi imprévisible, les gens vivraient dans la peur d'être mis à mort à tout moment, sans l'avoir mérité, et donc ils souffriraient, ce qui ferait de cette règle une mauvaise chose selon le critère utilitariste.

Mais il me semble que cette réponse passe à côté de l'enjeu profond du paradoxe, qui est celui du caractère sacré de la personne.

Une autre critique possible de l'utilitarisme, venant d'un égoïste, est qu'on ne voit pas pourquoi on mettrait sur le même plan les intérêts de tout le monde, au lieu de privilégier ses propres intérêts. Après tout, on ne sent pas les plaisirs d'autrui... Un égoïste serait donc plus intéressé par la morale d'Épicure, qui cherche à maximiser nos plaisirs, sans toutefois compromettre notre santé.